Biais de confirmation, cerises et bulles
Notre cerveau est un outil à la fois époustouflant et mystérieux. Fruit de millions d’années d’évolution, il nous permet de traiter un flux continu d’informations sensorielles, d’émotions, de pensées. Il nous octroie également une logique redoutable. Sans même en avoir la démonstration, nous comprenons que le soleil va se lever le lendemain. Si la nuit, en pleine forêt, nous voyons soudainement un buisson bouger, nous nous mettons sur nos gardes. Si notre lampe-torche s’éteint, nous suspectons la pile d’en être la cause. Mais si nos inférences intuitives sont utiles pour apprendre rapidement ou survivre en tant qu’espèce, cela est moins clair pour produire des connaissances fiables ou des raisonnements rigoureux.
Si nos « bugs » de cerveau existent et sont discutés depuis toujours, le terme « Biais cognitif » et la recherche sur le sujet a pris son essor dans les années 70. Depuis, les évolutions dans le domaine sont nombreuses et les concepts sont encore remis en question aujourd’hui. On pensera par exemple à un article récent qui se demande si, devant le nombre croissant de biais cognitifs découverts/nommés par diverses études, la recherche ne devrait pas essayer d’avoir une approche plus parcimonieuse en considérant que certains biais ne seraient que des facettes différentes d’un même problème [1].
Parmi les biais cognitifs les plus importants et les plus connus, on retrouve le fameux biais de confirmation. On pourrait même parler de plusieurs biais puisqu’il peut apparaître de manières différentes. Il s’agit en résumé de notre tendance à privilégier les informations qui confirment nos croyances antérieures et à négliger celles qui les infirment. On pourrait séparer le traitement d’une information par notre cerveau en plusieurs couches:
- La « réception » de l’information, la manière dont on la lit ou l’entend, qui est déjà cadrée par nos idées préconçues, nos a priori, nos connaissances.
- Le traitement en lui-même, dans un raisonnement par exemple, ou dans sa mémorisation.
- L’action de se rappeler de cette information à postériori, plus ou moins correctement.
- etc
Ainsi le biais de confirmation peut agir à tout niveau. Il va donner davantage de poids à des informations qu’il nous est agréable d’entendre et ignorer ou amoindrir ce qui nous contredit. Dans un débat politique, nous aurons l’impression que notre candidat préféré a de meilleurs arguments que l’autre et a gagné le débat. Nous lirons des ouvrages qui valident nos croyances et bouderons ceux qui les démentent. Nous nous souviendrons bien mieux de ce qui nous sied et interprèterons à notre goût, tout propos ambigu.
Un concept de psychologie lié à ce phénomène est la dissonance cognitive. Être soumis à des informations contradictoires ou avoir des attitudes qui entrent en conflit avec notre système de croyance est inconfortable. Il est désagréable de se voir opposer des arguments inverses qui pourtant pourraient faire sens. Pour faire partir cette tension interne, on risque alors de tomber dans nos travers. On saute à une conclusion, on ignore des arguments, on ne recherche que ce qui nous valide, etc. Ensuite, on rationalise, en tentant de se convaincre soi-même que nous sommes parvenus à nos conclusions par un raisonnement logique.
Lorsque l’on se développe, et ce dès le plus jeune âge, on veut pouvoir se faire une représentation du monde cohérente rapidement. On veut faire des liens entre les concepts. Percevoir les intentions. Comprendre les dangers et les bienfaits de ce qui nous entoure. Pour parvenir à cette fin, il n’est pas insensé que, instinctivement, nous n’essayons pas constamment de nous réfuter. Mais si l’on désire s’améliorer et faire le tri dans nos croyances, il va falloir prendre du recul par rapport à celles-ci et se demander ce qui serait susceptible de nous donner tort.
Notre tendance à filtrer les informations qui nous déplaisent n’est pas sans rappeler les problèmes que posent certains réseaux sociaux, Google ou encore YouTube. En analysant nos données personnelles et de navigation, les algorithmes de nombreux sites mettent en avant du contenu qui aura tendance à nous intéresser. Des bulles de filtres se créent ainsi autour de nous et on finit par ne voir que notre propre reflet. On pourrait arguer que ces « filtres externes » existaient déjà avant internet (autres formes de médias, par exemple), mais ils sont d’autant plus marqués aujourd’hui.
Enfin, mentionnons un procédé rhétorique très proche du biais de confirmation, le cherry-picking ou cueillette de cerises. Qu’elle soit intentionnelle ou non, cette cueillette consiste à argumenter en ne choisissant que les quelques exemples qui semblent nous donner raison. On ne montrera que des études qui vont dans notre sens, au lieu de s’intéresser à leur qualité ou au consensus sur le sujet. On nous parlera d’anecdotes comme de preuves. On citera des écrits en omettant le contexte. Après tout, on ne choisit que les belles cerises bien mûres.
Que peut-on y faire ?
Si le biais de confirmation est omniprésent, souvent invisible et impossible à réellement éviter, on peut néanmoins faire quelques efforts:
- Si nos actions ou croyances ne font pas l’unanimité, surtout si elles sont extrêmes, demandons-nous si nous ne sommes pas dans une bulle. Recherchons l’opposition, par curiosité. L’alternative est féconde.
- Si nous voyons passer une information surprenante dans les médias ou une conclusion d’étude, demandons-nous si elle fait consensus: croisons les sources. Cherchons d’autres études ou d’autres articles.
- Que nous adhérions ou pas à une croyance, que nous nous revendiquions sceptiques, « tenant » ou détracteur, ce travail doit s’opérer. Informons-nous en profondeur avant d’émettre un jugement hâtif, surtout sur les sujets à controverses.
- Soyons vigilants quant à la polarisation de nos opinions et de nos attitudes.
[1] Aileen Oeberst and Roland Imhoff (2023) Toward Parsimony in Bias Research: A Proposed Common Framework of Belief-Consistent Information Processing for a Set of Biases. Lien vers l’article
2 réflexions sur « Biais de confirmation, cerises et bulles »
C’est très juste!
Ce sont de très bons conseils mais….
Difficile d’échapper à nos habitudes (besoin d’avoir raison, besoin de sécurité, recherche de facilité, pas envie de se creuser la tête, etc…..)
Merci, oui c’est un travail de tous les jours qu’il nous est difficile de faire 🙂